La réforme territoriale présentée par N. Sarkozy comme nécessaire pour en finir avec le « mille-feuille » est une attaque contre la démocratie.
Sur quoi repose cet apparent besoin de réforme ? D’abord, sur des constats et des arguments fallacieux.
Commençons par les dépenses des communes, communautés de communes, départements et régions. Elles seraient trop importantes et plomberaient le budget français.
FAUX. Aujourd’hui les collectivités ont vu leurs dépenses augmenter suite à la création des communautés de communes et surtout au transfert par l’Etat de nouvelles compétences, pouvant pour les unes être mieux mises en œuvre au niveau local (la proximité avec les usagers est en effet propice à un meilleur service public, comme par exemple le RMI ou l’Allocation pour les personnes handicapées dans les départements ou les transports dans les régions) et pour les autres, une façon pour l’Etat de se décharger de la gestion de certains services, comme par exemples les 93 000 personnels techniques des établissements scolaires, qui étaient avant membres du ministère de l’Education Nationale. D’ailleurs, l’Etat n’a pas compensé ces transferts à leur coût réel. Ce qui représente une charge pour les collectivités.
Autre contre-vérité : les collectivités territoriales participeraient même au déficit budgétaire. FAUX. Tout d’abord, à l’inverse de l’Etat, les collectivités ne peuvent voter un budget en déficit, sans quoi le Préfet rejette la décision. Par ailleurs, les collectivités locales assurent aujourd’hui 70 % de l’investissement public en France (donc l’Etat seulement 30 %). Or, pour financer de l’investissement, les collectivités locales doivent limiter leurs dépenses de fonctionnement et notamment leur endettement. Ce qui est vrai, par contre, c’est que l’Etat est obligé de compenser les dégrèvements fiscaux qu’il accorde sur les impôts locaux, notamment sur la taxe d’habitation ou sur la taxe foncière récemment incluse dans le « paquet fiscal ». On comprend bien que le gouvernement actuel qui a besoin de trouver des recettes supplémentaires pour financer la suppression de la taxe professionnelle cherche à garder dans son budget ces compensations.
Les dépenses des collectivités locales, et surtout des départements et des régions, seraient liées à leur possibilité d’intervenir dans tous les domaines.
Globalement FAUX. Les dépenses des Départements et des Régions sont consacrées à 80% à leurs compétences obligatoires (c'est-à-dire celles transférées par l’Etat ou inscrites dans la loi). Pour le reste, elles consacrent ces dépenses à tout ce qui permet localement d’améliorer la qualité de vie des citoyens (intervention sociale, vie culturelle et sportive, coopération internationale, etc.). Elles contribuent aussi parfois à palier l’insuffisance de l’Etat. Un exemple ? L’enseignement supérieur : les Régions n’ont pas de compétences obligatoires en la matière, pourtant elles participent au financement de résidences universitaires pour les étudiants. On peut considérer que ce n’est pas nécessaire, l’accès des étudiants issus de famille modestes à un logement permet à ces jeunes d’avoir une formation supérieure. Mais peut-être qu’une jeunesse trop bien formée n’intéresse pas certains…
Revenons aux collectivités territoriales, à la démocratie et au problème du « mille-feuille », territorial. Il y aurait trop de niveaux de collectivités territoriales. Partiellement FAUX.
Il y a aujourd’hui entre la commune et le département des communautés de communes, d’agglomération ou urbaines, des syndicats intercommunaux, et les Pays. Ce ne sont pas à proprement parler des collectivités territoriales, car il s’agit de regroupements de communes sur des questions précise (le traitement des déchets, la gestion de l’eau, les transports en commun, équipements collectifs, etc.) et par ailleurs les élus qui y siègent sont nommés et non élus directement par les citoyens Il y a là une nécessaire simplification à opérer. Il y a également à déterminer des domaines dans lesquels un type de collectivité pourrait être chef de file là où l’échelle géographique serait plus pertinente. Il y a un certain nombre d’évolutions qui font l’unanimité dans les associations de collectivités.
Par exemple l’aide économique. Aujourd’hui, Régions, Départements, Villes, Agglo ou métropoles interviennent. N’est-ce pas plutôt à la Région
Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’hui. Cette réforme n’a pas pour but de permettre à la décentralisation de s’approfondir pour être encore plus favorable aux citoyens. Il s’agit aujourd’hui de limiter les contre-pouvoirs locaux et de renforcer le pouvoir central.
La réforme territoriale a pour but de faire en sorte que les départements et les régions ne puissent plus intervenir comme ils l’entendent pour proposer des services publics locaux nouveaux, améliorer la vie des citoyens, et obliger les services de l’Etat à avoir une approche concertée voire négociée avec les élus locaux. Limiter les compétences des collectivités territoriales, c’est limiter leur capacité à proposer des projets de société différents de celui du pouvoir central, c’est limiter leur autonomie politique.
Aujourd’hui, il y a en France des gouvernements locaux. L’une des première décisions prises par les révolutionnaires de 1789 a la Gauche
Prenons l’exemple de la culture. Ce sont les communes qui interviennent le plus avec 61% des dépenses culturelles, contre 19% pour les Départements, 12% pour les intercommunalités et 8% pour les Régions. Cependant , elles ne pourront compenser les 20% pris en charge par les départements et les régions en fonctionnement (et 34 % en investissement). Par ailleurs, les départements et les régions peuvent permettre un développement des territoires (ruraux/urbains, favorisés/défavorisés, etc.) ; si les communes et intercommunalité deviennent le seul niveau d’intervention culturelles, des inégalités plus fortes entre les communes vont apparaître, et donc des inégalités d’accès à la culture.
Pourquoi la décentralisation représente un progrès pour la démocratie ?
Elle permet de favoriser la proximité entre les gouvernants et les gouvernés. Peut-on entrer en contact facilement avec un Ministre, un député ou un sénateur (en dehors des périodes de campagne électorales) ? pas vraiment. Par contre, on peut assister à une séance du conseil général ou du conseil régional ; on peut aussi interpeller les élus lors des manifestations publiques ou d’adresser aux services régionaux et départementaux.
La décentralisation favorise l’implication des citoyens dans la gestion locale. Aujourd’hui on compte 500 000 élus en France. La très grande majorité sont des élus municipaux. Il n’y a que 6000 conseillers généraux et conseillers régionaux, soit 1,2 %.
Enfin, la démocratie suppose l’existence de contre-pouvoirs, qui représentent la pluralité des opinions et des projets politiques au niveau national et au niveau local. Les collectivités territoriales représentent des contre-pouvoirs. Même si une Région ne fait pas le poids face au pouvoir du gouvernement, forte de son principe de libre administration, elle ne peut se voir dictée ses décisions par le Préfet de Région ou par un ministre.
La réforme prévoit de passer à un système de conseillers territoriaux : certains ne siègeront que dans les conseils généraux, d’autres cumuleront les deux fonctions de conseiller général et régional, ce qui est passant, est une façon de légitimer le cumul des mandats.
Quel est l’intérêt de réduire de 6000 à 3000 le nombre de conseillers généraux et régionaux alors qu’ils ne sont pas assez nombreux si on les rapporte à la population ? il n’y en a pas, si ce n’est de limiter là encore le pouvoir des gouvernements locaux. La conséquence est prévisible : les conseillers territoriaux issus d’un territoire ne seront pas prêts à accepter une décision régionale qui irait en leur défaveur et qui pourtant relèverait de l’intérêt général, comme par exemple, la desserte en transport régionaux ou encore l’implantation d’un lycée. On assistera en permanence à la négociation de contre-parties. Bref, l’intérêt général va en pâtir et du côté des départements, on va assister à un recentrage sur les compétences sociales, les autres interventions étant soit transférées aux futures métropoles, soient interdites ou au mieux partagées. Sans compter l’impossibilité pour les conseillers territoriaux de s’investir sur des sujets à l’échelle régionale au sein de commission et en faisant un vrai travail de terrain. Au final, ce sont les services administratifs qui pallieront à cette indisponibilité ; or eux, ne sont ni élus par les citoyens ni responsables devant eux…
Parallèlement, tous les niveaux de collectivités verront leurs ressources fiscales plafonner avec la suppression de la TP la TIPP
Quand l’autonomie financière des gouvernements locaux est réduite (la capacité à voter l’impôt est inscrite dans la déclaration des droits de l’homme) et qu’au même moment on limite l’autonomie politique en déterminant les champs d’intervention des gouvernements locaux et qu’on modifie le pouvoir des élus en étendant leur territoire de responsabilité, on met un coup d’arrêt à la décentralisation et on organise le retour à la domination du pouvoir central, donc de l’Etat, de son Gouvernement et surtout de son Président.
Emilie Mottier
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