Juste quelques mots en introduction à ce temps fort essentiel de réflexion sur la pratique sociale qu’est ce rendez-vous annuel et attendu du Forum Visages.
C’est forcément un exercice singulier pour un représentant institutionnel que d’intervenir en ouverture d’un forum dont le thème cette année est « Vivre, penser, agir en marge »
D’une certaine façon en effet, l’institution se trouve plutôt du côté de la norme. On peut reprocher à nos institutions parfois, et on ne manque pas de le faire, d’ignorer, voir de créer la marge.
Le département que je représente ici a de ce point de vue un statut et une responsabilité particulière, puisque au titre de nos compétences qui concernent pour une grande part la solidarité, nous avons la responsabilité de prendre en compte la marge, par des politiques publiques d’insertion, de protection, de lutte contre l’isolement et l’exclusion.
Nous ne pouvons ignorer ce qui se vit, si dit, se pense en marge, parce que par définition le « hors cadre » dessine aussi les contours du cadre et dit quelque chose de la manière dont nous vivons. La marge dit comme dans un miroir quelque chose de la norme. Elle impose une réflexion sur la norme.
C’est pour cela qu’il est essentiel de garder et de renforcer le caractère politique de nos institutions. Une administration gère, agit, compte. Et au fond, elle peut fonctionner sans se préoccuper de la marge.
La politique, ce n’est pas seulement de l’administration, de la gestion, c’est avant tout ce qui produit du collectif. Ce que nous devons traduire en actes pour mieux vivre ensemble.
La politique, c’est travailler à la construction de ce qui rassemble, de ce qui fait la « Cité ». Et construire le vivre ensemble, c’est en permanence interroger ce qui fait « limite », « contrainte », ce qui exclut.
C’est cette conception de la politique qui motive mon engagement. C’est aussi ce qui le détermine à gauche.
Il est vrai que dans le contexte actuel où nos choix collectifs sont aussi fortement soumis à des contraintes comptables, un engagement à gauche doit porter des priorités, doit affirmer des choix. On ne peut plus construire un projet politique de la même manière. Je crois en particulier que l’écoute, l’attention à la marge, aux plus fragiles, à ceux qui sont exclus, broyés par le système, sont plus que jamais des valeurs essentielles.
Comme le formule Edgar Morin je crois qu’il faut revenir à 4 fondamentaux, qui sont : d’améliorer la société, d’épanouir l’individu, de vivre en liberté et de sauvegarder notre environnement, notre patrimoine commun. Le progrès ne va plus de soi, nous devons le penser autrement. Et pour penser le progrès nous devons justement être attentifs aux marges.
Michel Foucault avait montré de manière édifiante qu’une société désigne comme pestiférés des hommes et des femmes qui bien que n’étant pas malades sont exclus (dans sa recherche il avait notamment questionné le fait que dans les cimetières hors des villes du moyen âge réservés aux pestiférés on retrouvait d’autres parias, des marginaux qui n’étaient pas morts de la peste). Qui sont aujourd’hui nos exclus, celles et ceux que l’on rejette du côté des pestiférés.
Notre société a fait d’incontestables progrès dans le domaine de l’intégration et de la prise en compte du handicap, dans la lutte contre les discriminations … Mais, nous le savons bien, ces progrès sont largement insuffisants et l’exclusion et la discrimination concernent de nouvelles situations ou groupes sociaux.
Depuis de nombreuses années la ville de Rezé prend en compte de façon exemplaire l’accueil et l’intégration de nombreuses familles issus des gens du voyage. Il a fallu d’abord contenir le nombre de ces familles pour éviter un développement d’une forme de communautarisme. Puis les élus ont travaillé à la mixité sociale notamment dans l’école de Ragon.
Et enfin nous avons expérimenté et innové avec des propositions d’habitat spécifiques permettant la transition vers l’habitat traditionnel.
Il a fallu beaucoup de volontarisme politique et les résultats, pour imparfaits qu’ils soient, sont plutôt encourageants.
Ceci doit nous inspirer dans les propositions à adopter envers une nouvelle population spécifique, les roms, fortement discriminés par les problèmes d’intégration qu’ils posent. Il nous faut sortir d’une situation, car elle nous fait porter politiquement des responsabilités qui ne sont pas les nôtres (notamment la question du droit au travail et des occupations illégales de terrains), pour envisager un traitement et un accompagnement social conforme à nos valeurs. La participation à un MOUS (maîtrise d’oeuvre urbaine et sociale proposée par le Préfet) et la création d’un terrain équipé, pour l’accueil d’un nombre de familles en désir d’intégration, me paraissent deux voies explorables et humainement dignes.
Comme vous le voyez, le rôle du responsable politique de gauche, dont la mission est de construire une société plus juste, est sans arrêt d’interroger cette question. D’autant plus parce que nous sommes responsables devant les générations futures des valeurs et des modèles que nous leurs transmettons.
Pour cela, et je vais en terminer par là, il faut dire toute l’importance du documentaire. Un documentaire, c’est un regard singulier sur ce que nous vivons, plus ou moins en proximité. Ce regard singulier, il nous force ensemble à faire un pas de côté pour entendre et regarder autrement une réalité sociale et humaine. Je crois que la responsabilité du responsable publique est de permettre à ce regard d’être partagé. Un élu politique c’est aussi celui qui écoute même lorsque cela dérange nos pouvoirs et nos habitudes.
Je vous remercie.
Très bon
Forum à toutes et à tous.
